Si la douche est une pratique très ancienne, l’hydrothérapie, au sens strict du terme, est d’usage récent, qui doit tout autant au développement du thermalisme qu’à l’avènement de la distribution d’eau courante. Retour aux sources.
Etudier comment la pratique des douches sophistiquées s’est introduite dans la vie quotidienne nécessite un petit détour étymologique : le mot douche est issu du latin ducere qui signifie conduire. A la suite des découvertes du physicien italien Toricelli sur l’écoulement des fluides au XVIIe siècle [1], et selon une définition en usage au XIXe siècle [2], il s’agissait en effet de conduire l’eau d’un réservoir élevé (la hauteur fournit l’énergie) par un tuyau de diamètre variable à l’extrémité duquel sont placés des ajutages qui déterminent la forme et la fonction du jet.
De l’aspersion à la douche
Ainsi, depuis l’Antiquité, la douche n’était qu’une forme d’aspersion réalisée au moyen d’un récipient ou dans le cadre d’une cascade naturelle. Il fallait donc un certain nombre de conditions techniques pour parvenir à l’hydrothérapie, c’est-à-dire à l’emploi externe de l’eau sous formes de douches ou d’affusions (aspersion d’eau sur une partie du corps), par opposition à la balnéothérapie qui définissait l’emploi méthodique des bains.
Ces conditions faisaient appel à des sciences encore hésitantes comme l’hydrodynamique (technique des pompes, siphons, jets d’eau…) et l’hydrostatique (technique des mouvements et de l’équilibre des fluides).
D’abord un médicament
L’ensemble des ouvrages du XIXe siècle abordant la question de l’hydrothérapie présente la douche comme un traitement destiné aux affections locales et à diverses formes d’aliénation, ce dernier usage étant cependant déjà controversé. Le Grand Larousse, dans son édition de 1920, parle encore de la douche comme d’un « traitement curatif ou simplement hygiénique. »
Historiquement, l’image de ce jet dirigé semble plus médicalisée que celle du bain, avec des effets stimulants ou calmants selon les auteurs et les ouvrages. La preuve en est donnée par la multiplicité des jets dont on distingue alors trois catégories : descendants, ascendants et latéraux. Les effets de la percussion de l’eau sur la peau étant connus (ils dépendent du diamètre du réservoir et de la température du liquide), une grande variété de jets était pratiquée, allant de la percussion violente à la « vapeur aqueuse », en passant par les jets de pluie, en cercle, filiformes…
Le fait thermal
La douche « aspersion » était pratiquée depuis toujours et madame de Sévigné, curiste à Vichy, la désignait comme « une répétition du purgatoire ». Elle écrivait à sa fille, en septembre 1677 : « Je n’ai pris que deux douches […] ; j’en suis fâchée car j’aime à suer, mais j’étais trop essoufflée et trop étourdie… » La douche était sévère et les progrès des matériels raffinèrent cette sévérité. Verlaine avait d’ailleurs gardé un souvenir ému du jet à la lance obligeant le douché à s’agripper solidement à des barres de maintien.
Le développement du thermalisme a été déterminant et la « fièvre thermale » des années 1875-1890 manifeste l’essor d’une hydrothérapie désormais nantie d’équipements singuliers, adaptés aux affections traitées.
A chaque établissement, son équipement
Evian disposait d’un siège pour douche lombaire et périnéale alliant jets latéraux et ascendants. Aix-les-Bains possédait un appareil de douche en cercle composé d’une pomme de tête et de dix rangées de jets latéraux. Vichy pratiquait le massage sous douche à affusion, à savoir la mise en contact d’une nappe (ou pluie) d’eau avec une surface étendue du corps allongé sur une table.
Tous les établissements appliquaient la douche au jet (en salle ou en piscine) et beaucoup la douche sous-marine ou projection d’eau à l’aide d’un tuyau sur différentes parties du corps immergé dans une baignoire.
La plupart de ces douches, à l’exception de l’ascendante, sont toujours en usage dans les stations thermales et de thalassothérapie.
Chez les particuliers
Ces merveilles un peu barbares mais appréciées des curistes devaient naturellement s’adapter à cette pièce naissante qu’était la salle de bains. Les premières réalisations vinrent d’Angleterre, pays qui ignorait le thermalisme mais possédait une large avance dans l’équipement sanitaire.
Lors de l’exposition universelle de 1889, un appareil de douche en cercle fut présenté : peu esthétique, il était équipé d’un réservoir-colonne et d’une chaudière à bois. C’était l’utilisateur qui, avant la douche, fournissait la pression au moyen d’un lourd volant.
Un progrès en marche
L’essor de la distribution de l’eau (quatre-vingt-douze villes équipées en 1892) puis l’apparition du chauffe-bain à gaz (entre 1890 et 1900) permettront enfin de disposer d’eau chaude, et même tiède, à volonté. L’hydrothérapie à domicile devient alors réalité. Elle prend modèle sur les installations thermales, en affine l’esthétique et se dote d’une robinetterie permettant d’alterner jet vertical et jets latéraux.
Des installations exceptionnelles
Les grands noms du sanitaire, Jacob Delafon et Porcher, furent les premiers à proposer une tuyauterie à jets latéraux multiples, d’installation complexe mais très efficace, soit sur une baignoire, soit sur un receveur de douche. On se doute que les bénéficiaires de ces appareils furent non seulement très minoritaires, mais passèrent probablement pour des originaux.
Le public restait à l’écart de ces produits d’exception et continuait d’utiliser le traditionnel tub avec son broc de service. Toutefois, d’ingénieux fabricants tentèrent de mettre la douche à la portée de tous avec différents systèmes dont le plus répandu fut le collier de douche (tube circulaire percé de trous que l’on posait sur les épaules) relié par un tuyau de caoutchouc à un récipient de tôle.
Ces inventions subsistèrent, avec des bonheurs divers, jusqu’aux années 1930 où la mise au point des douches latérales encastrées autorisa une hydrothérapie très proche de celle que nous connaissons aujourd’hui.
[1] Outre sa loi sur l’écoulement des liquides (De Motu Aquarum, 1644) qui préfigure l’hydraulique en reliant la vitesse d’écoulement d’un liquide par l’orifice d’un récipient à la hauteur de liquide contenu dans le récipient au-dessus de l’orifice, en tenant compte de l’accélération de la pesanteur, on doit également à Evangelista Torricelli (1608-1647) l’invention du baromètre à mercure la même année.
[2] Encyclopédie des gens du Monde, répertoire universel des sciences, des lettres et des arts, 1837, Treuttel et Würtz, Paris.