Histoire de la robinetterie, épisode 6 : l’entre-deux-guerres et l’arrivée du robinet temporisé

Avant la deuxième guerre mondiale, qui bloquera toute évolution de la robinetterie, les spécialistes de la salle de bains – fabricants de céramique sanitaire ou de robinetterie – commencent à émerger. Le thermostat, ainsi que le robinet temporisé, sont inventés.

Durant la première décennie du XXe siècle [1], des spécialistes de l’équipement sanitaire naissent, venus répondre aux besoins d’hygiène et de confort que l’arrivée de l’eau courante dans les villes favorisent. Certains fabriquent du grès blanc et de la porcelaine, tels Sarreguemines, Villeroy & Boch à partir de 1901 et celui qui deviendra Duravit, en 1903 ; d’autres de la robinetterie, dont Porcher en 1900 et Hans Grohe en 1901, qui se spécialise rapidement dans les articles en métal destinés au secteur sanitaire. En 1910, les Ateliers de Paris, petite unité du céramiste Jacob, Delafon & Cie (ci-dessus, publicité Jacob, Delafon & Cie de 1920) fabriquant de la robinetterie, compte cent cinquante personnes, et beaucoup plus après la guerre.

En 1912, le plus grand des transatlantiques prend la mer, avec à bord des installations sanitaires signées Jacob, Delafon & Cie. On sait le triste sort de ce voyage inaugural, considéré par certains comme un mauvais présage. Deux ans après, les fracas de la première Guerre mondiale venaient mettre un terme au XIXe siècle, si fertile en découvertes. Fait curieux : à la suite de plusieurs plongées d’exploration de l’épave, en 1986, soit plus de cinquante ans après, une partie des sanitaires du Titanic fut remontée à la surface, sans problème.

Comment le thermostat de Butz a été appliqué à la robinetterie

En 1911, un électricien et horloger américain, observant que son barbier est dans l’impossibilité d’éviter les variations brutales de la température de l’eau de ses robinets, lui installe un appareil associant « un bilame et une chambre de distribution », réalisant ainsi le prototype du « thermostatique ». Après en avoir amélioré le principe de fonctionnement, cet inventeur, F.C. Léonard, dépose un brevet et, en 1913, crée sa propre entreprise. Pour la première fois, un robinet permet un mélange eau chaude/eau froide à la température désirée et, surtout, stable, ce qui était impossible avec le mélangeur. Le progrès est considérable, en particulier pour l’équipement des douches. Il faudra toutefois attendre le milieu du XXe siècle pour voir ce « thermostatique » figurer dans les catalogues et débuter une véritable commercialisation.

Une période, dite « l’entre-deux-guerres », commençait. L’industrie allemande, pratiquement indemne sur son territoire au contraire de l’industrie française, allait devenir particulièrement performante. En Europe, les sites de production les plus en pointe commencent à s’équiper des premières machines-outils, puis d’outils en carbure de tungstène. Les petites fonderies doivent s’orienter vers des produits de commande.

L’Entre-deux-Guerres et la naissance de la robinetterie temporisée

En 1927, deux frères, André et Lucien Patient, apportent une innovation essentielle au robinet à poussoir de Biné. Celui-ci équipait plutôt des fontaines publiques et ne fonctionnait qu’avec une pression constante sur la tête poussoir. En le modifiant et en combinant l’effet de trois pièces principales dont une dite « rubis » et une autre « filtrant », les deux inventeurs obtiennent un robinet dont une seule pression délivre une quantité d’eau définie avec un débit constant. Commercialisé sous la marque Presto, ce premier robinet temporisé, destiné aux lieux publics, offrait l’avantage combiné d’une grande robustesse et d’une économie d’eau non négligeable.

L’année suivante, en 1928, une nouvelle fonderie se consacrait à la fabrication d’appareils de puisage et de vidage, sous le nom de Delabie. Une marque qui, 50 ans plus tard, allait devenir un concurrent direct de Presto.

L’apparition de la douchette à main

Toujours en 1928, la première douchette à main figure au catalogue de la firme Hans Grohe (ci-contre, l’atelier Hans Grohe en 1909). On ne connaissait alors que la pomme de douche de type arrosoir ou « douche de tête ». La douchette à main, dotée d’une poignée en porcelaine et reliée par un « flexible » sur un support, améliorait l’équipement des baignoires.

Les premières douches, apparues à la fin du XIXe siècle, étaient composées de larges pommes de tête circulaires (jets pluie verticaux), et de tubulures à orifices multiples (jets filiformes horizontaux). Elles concernaient principalement les établissements thermaux. Mais à la fin de la guerre, la baignoire étant devenue un appareil sanitaire recherché (bien que non généralisé), la nécessité d’un combiné bain/douche s’imposa. Au début, l’installation était assez lourde avec deux paires de robinets (un pour le bain, l’autre pour la douche) encadrant un levier jouant le rôle d’inverseur. Après la guerre, elle se simplifia avec un seul robinet surmonté du levier inverseur. Toutefois, la pomme de douche zénithale impliquait tout un jeu de tentures protectrices. Parce que la douchette à main facilitait l’utilisation avec un réel confort, elle devait obtenir un succès durable sous le nom de « douchette téléphone ».

Dans le Manuel du Plombier en 1931

Dans le Manuel du « Plombier et spécialiste en Installations Sanitaires » publié chez Dunod en 1931 et rédigé par J. de Thallesme, ingénieur, et M. Leduque, entrepreneur de plomberie (un gage de sérieux), il est indiqué que quatre types de robinets sont principalement utilisés :
→ le robinet à boisseau, qui demande à être graissé et rodé périodiquement,
→ le robinet à vis extérieure (à clapet), dont la clef (manette) surmonte une tige filetée qui actionne une soupape garnie d’un caoutchouc facile à changer, qui en assure l’étanchéité,
→ le robinet à vis intérieure, avec lequel la tige filetée n’est plus apparente, mais se situe à l’intérieur du corps, terminée par un tampon qui, en se relevant ou s’abaissant, obstrue ou dégage l’orifice d’arrivée,
→ le robinet à levier qui, quand on appuie sur le levier, celui-ci soulève une soupape repoussée par un ressort, laquelle libère l’eau.

On s’aperçoit que ce manuel, rédigé à la fin des années 1920, intègre peu d’innovations autres que le robinet à clapet. En outre, le texte laisse entendre que l’appareil à vis extérieure serait réservé à l’eau froide et que celui à vis intérieure le serait pour l’eau chaude, ce qui suppose des installations encore assez lourdes.

L’évolution des matériaux de la robinetterie

Au cours des années 1930, les deux alliages dominants sont le laiton et le bronze. Ce dernier est plus souvent utilisé pour des commandes d’architectes décorateurs, qui concevaient des modèles uniques, véritables sculptures, le plus souvent d’aspect zoomorphe (ci-contre mélangeurs de la salle de bains conçue par le décorateur Armand-Albert Rateau en 1928, reconstituée par Tajan, commissaire priseur à l’occasion de sa vente, en 2001).

Le laiton apparaît dominant, mais la robinetterie dans son ensemble aura connu beaucoup d’autres matériaux : le bois, l’étain, le grès, le verre, la fonte, l’acier… Ce dernier sera de plus en plus employé, sous l’influence d’Alfred Moen, ingénieur de Seattle (USA), un précurseur qui substitua l’acier inoxydable au traditionnel laiton. L’acier inox fut avec une finition en nickel brossé ou poli, puis, plus tardivement, entièrement chromée. La tête, ou manette (mais on parle encore de clef chez les professionnels), prend souvent l’aspect d’un « croisillon » à quatre branches, plus maniable, assorti d’une pastille centrale en porcelaine marquée F et C ; le C toujours à gauche, pour l’accès à l’eau chaude. Le grand luxe, en concurrence avec le bronze, se signalait par un alliage où entrait l’or, ou bien un placage du même métal, en finition polie.

[1] L’examen de l’évolution des sociétés montre que le XIXe siècle s’est en réalité achevé en 1913.