Lavabo : du rite catholique à l’usage domestique, l’histoire d’un mot riche de sens

L’étymologie réserve parfois des surprises… Savez-vous que le mot lavabo n’a pas toujours eu le sens qu’on lui connaît aujourd’hui ? Avant d’être une pièce maîtresse de la salle de bains, il fut communément associé à une oraison chrétienne. Voici son histoire, du religieux au profane, de la purification de l’âme à celle du corps.

Lavabos dans une église, une sacristie, un monastère.

Dans la liturgie catholique, le lavabo fut d’abord une prière. Celle que prononce le prêtre lorsqu’il se rince les doigts avant que le pain et le vin destinés à être bénis ne soient disposés sur l’autel pour l’eucharistie, le rite qui commémore la Cène et célèbre symboliquement le sacrifice du corps et du sang de Jésus Christ : « Je laverai mes mains parmi les innocents, et je me tiendrai autour de votre Autel, Seigneur » [1]. En latin, le verbe laver (lavare), conjugué au futur (lavabo) dans ce verset, évoque la purification de l’âme. Si le geste accompli n’a pas changé, la prière dite du lavabo a évolué à compter des années 1970. Depuis le concile de Vatican II, sa formulation est devenue « Lave-moi de mes fautes, Seigneur, purifie-moi de mon péché » [2].

A noter : par métonymie, le mot lavabo désigne aussi le linge liturgique (dit aussi manuterge) qui permet à l’officiant de s’essuyer les mains à ce moment de la messe.

Photo d’ouverture : lavabo de la sacristie du duomo de Carrare, XVIIe siècle, Italie (Wikimedia Commons) ; lavabo du cloître de l’abbaye cistercienne de Poblet, XIIe siècle, Espagne (Wikimedia Commons) ; lavabo, Bourgogne, XIIIe siècle, France (MET museum).

Un glissement, du symbolique au physique

Lavabo des monastères de Gloucester et ZwettiDans le registre architectural, le terme lavabo puise son origine dans ce même contexte religieux, qualifiant la fontaine dans laquelle les moines pratiquaient leurs ablutions rituelles au moyen-âge, en particulier au sein des monastères cisterciens, où le travail manuel est une valeur cardinale. Placés souvent sous le cloître, à proximité du réfectoire et à l’abri des intempéries, ces bassins (dits aussi lavatorium) permettaient aux frères de maintenir une certaine propreté avant de passer à table, de se rendre aux offices matinaux… Bien souvent, ils constituaient l’unique point d’eau potable à l’intérieur de l’abbaye, d’une importance capitale dans l’organisation cléricale. Photo ci-dessus : lavatorium du cloître de la cathédrale de Gloucester, XIVe siècle, Angleterre (Wikimedia Commons) ; lavatorium du cloître de l’abbaye de Zwetti, troisième plus ancienne abbaye cistercienne au monde, XIIe siècle, Autriche (Wikimedia Commons).

Une multitude de formes pour une fonction pas tout à fait unique

Lavabos des monastères de Thoronet, Valmagne, Batalha et DubrovnikIl subsiste des modèles variés de lavabos, selon le prestige de l’édifice et l’ordre ecclésiastique, l’évolution de la grammaire des styles… En fontaines étagées et richement ornées, avec une distribution de l’eau en cascade, ils pouvaient offrir plusieurs postes individuels organisés autour d’une même vasque. Ou au contraire intégrer une grande auge collective le long du mur, dont la forme préfigure la cuve unique qui fera florès des siècles plus tard dans les écoles. Photo ci-dessus : lavabo du cloître de l’abbaye du Thoronet, XIIe siècle, France (Wikimedia Commons) ; lavabo du cloître de l’abbaye Sainte-Marie de Valmagne, XIIe siècle, France (Wikimedia Commons) ; lavabo du cloître du monastère de Batalha, XIVe-XVe siècles, Portugal (Wikimedia Commons) ; lavabo de l’abbaye franciscaine de Dubrovnik, XIVe-XVe siècles, Croatie (Wikimedia Commons).

A l’intérieur des édifices religieux, près du chœur, dans la sacristie…, un type de lavabo s’est développé pour accompagner le rite de la prière du même nom, souvent percé dans le fond d’un micro-orifice assurant l’évacuation vers le sol, à défaut de canalisation. Appelées également piscina, certains modèles présentent un plus petit bassin simplement meulé dans la pierre, de façon fruste ; ou sont nichés dans une installation plus complexe sous arche(s), notamment à la période gothique. On les retrouve aussi installés en angle et suspendus, surmontés ou non d’un réservoir, leur cuve en forme de coquille, à l’instar de nombreux bénitiers. Avançant dans le temps, les versions posées sur un jambage, façon console, apparaissent. Sculptés dans le marbre, modelés dans la céramique et vernissés…, les plus somptueux de ces lavabos sont de véritables œuvres d’art…

De « dire » le lavabo à y « faire » sa toilette

lavabos des sacristies de la Santissima Annunziata (Pontremoli), de l'église de Recoaro Terme (Italie), de celle de San Gaetano (Florence) et de San Marco Italie (Florence).Glissant du registre des hommes d’église à celui du commun des mortels, le mot – et avec lui l’objet et le geste – sont progressivement passés dans le langage courant, portés par les progrès en matière d’hygiène. D’abord pour caractériser un meuble de toilette garni d’une cuvette et d’une cruche à eau dans la sphère domestique. Puis, avec l’avènement de la salle de bains, pour nommer l’appareil sanitaire fixe comportant une cuve alimentée en eau par des robinets. Selon une expression imagée tombée en quasi-désuétude, l’objet peut d’ailleurs aussi représenter la pièce dans laquelle il devenait alors possible de faire sa toilette, voire d’aller aux toilettes…

Photo ci-dessus : lavabo de la sacristie de l’église de la Santissima Annunziata à Pontremoli, XVe siècle, Italie (Wikimedia Commons) ; lavabo de la sacristie de l’église de Recoaro Terme, Italie (Wikimedia Commons) ; lavabo de la sacristie de San Gaetano, vers 1611, Florence, Italie (Wikimedia Commons) ; lavabo de la sacristie de San Marco, vers 1500-1525 Florence, Italie (Wikimedia Commons).

[1] Traduction du verset 6 du psaume 25 de la Bible : Lavabo inter innocentes manus meas, et circumdabo altare tuum, Domine.
[2] Psaume 50, verset 4.

Claudine Penou, journaliste professionnelle, travaille depuis plus de 20 ans en presse écrite (professionnelle et grand public), développant en parallèle des activités dans l’édition et la communication. Depuis 10 ans, elle se consacre au secteur de la salle de bains, et plus spécifiquement au décryptage des tendances (fond et forme). Contact

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