Pour purifier le corps et l’âme, les peuples amérindiens pratiquent un bain de sudation, le temazcal, pilier des croyances et de la médecine indigène. Son usage perdure depuis l’époque préhispanique, hérité des civilisations maya et aztèque.
La coutume du temazcal, parfois aussi orthographié temezcal, est toujours vivante au Mexique, au Guatemala, au Salvador ou encore au Bélize. Ce bain d’air chaud et sec, comparable au sauna finlandais, est bien ancré dans la quasi-totalité de l’aire culturelle mésoaméricaine. Si les touristes visitant ces pays, et tout particulièrement la péninsule du Yucatan, peuvent en faire l’expérience, les populations, notamment rurales, sont très attachées à ce rituel ancestral. Voué à la spiritualité ou utilisé comme instrument thérapeutique (contre les rhumatismes par exemple), le temazcal pallierait aussi l’absence de salle de bains dans certains territoires reculés, où cette structure à usage collectif demeure un bon moyen de se laver.
La maison des pierres chaudes
Du Chiapas aux montagnes sacrées de Teotihuacan, le temazcal se prend dans une « maison de chaleur » ou « maison des pierres chaudes » appelée « temazcalli », un terme aztèque (langue nahuatl), qui serait composé de différents mots : « teme » (se baigner) ou « tetl » (pierre), associés à « mazitli » (chaude) et « calli » (maison). Les petites structures qui sont utilisées de nos jours, majoritairement rondes, ont la forme de huttes de terre crue ou de pierres. Parfois recouverte de branches, de tissu, voire de simples bâches qui assurent leur étanchéité à l’air, elles sont de fait assez semblables aux maisons de sudation mises au jour par les archéologues, dont la construction remonterait à plus de 1 200 ans. Photos ci-dessus : vestiges archéologiques de temaszcals au Salvador (Joya de Cerén) et au Guatemala (Yaxhá Nakum Naranjo).
Celles dont le toit est voûté (il existe aussi des chambres de sudation quadrangulaires) ressemblent à des fours à pain ou des igloos bas de plafond, ne permettant pas, en général, de se tenir debout. L’on y pénètre d’ailleurs plutôt à quatre pattes (en signe de respect), par une porte étroite et traditionnellement basse, première des étapes du rituel qui en compte quatre.
Un rituel sacré
La vocation du temazcal dépasse celle du sauna finlandais : il ne s’agit pas seulement d’embellir sa peau, de se débarrasser des toxines ou de délasser ses muscles, mais d’accéder, graduellement au cours de la séance, à différents stades de bien-être, d’abord physique, puis émotionnel, ensuite mental et pour finir spirituel. Photos ci-dessus : temazcals contemporains, au Mexique (réserve écologique de Nanciyaga à Catemaco Veracruz ; ville de Comala).
Pour cheminer vers ce lâcher-prise qui va donc bien au-delà de l’expérience physique, la porte du temazcal est censée s’ouvrir autant de fois que l’on ajoute, une à une, une dizaine de pierres volcaniques. Chauffées dans un foyer extérieur adjacent, souvent intégré à un périmètre sacré, celles-ci contribuent à faire monter la température sous le dôme (jusqu’à 60 degrés).
Durant la séance (qui dure selon les témoignages entre 60 et 90 minutes, parfois plus), le bain de chaleur se veut en interaction, voire en communion, avec chacun des points cardinaux, qui font écho aux quatre éléments sacrés. La Terre, le Feu, l’Air et l’Eau sont ici représentés par la hutte qui imite une cavité, par les pierres incandescentes disposées en son milieu, par la vapeur qui s’en dégage au contact de l’eau versée ponctuellement dessus à l’aide d’une cruche… Se mêlant à l’encens de résine de copal ou à la fumée des feuilles de maïs et de tabac qu’on brûle, comme les fèves de cacao, en offrande aux dieux, cette vapeur est parfumée avec diverses herbes médicinales (romarin, sauge, camphre, eucalyptus…), plongées en bouquet dans l’eau.
En communion avec la Terre et l’inframonde
Ces différentes opérations sont menées à bien par un chaman (le temazcalero), qui officie durant cette cérémonie et guide les participants qui ont pris place au sol, sur une simple natte, invitant chacun à l’introspection par le chant, des incantations, au rythme des percussions, qui rendent hommage à la nature. Photo : intérieur d’un temazcal en brique de terre au Mexique (Hacienda La Chonita, Tabasco).
Dans le respect de la mythologie aztèque, le déroulé de la cérémonie est également placé sous la tutelle d’une divinité de l’inframonde, l’univers souterrain associé à la fertilité et aux ancêtres qui y vivent en paix : Temazcalteci (tecitl signifiant grand-mère). Vouée aux bains de sueur, cette entité renvoie implicitement au culte de Teteoinan, la déesse-mère de la Terre, laquelle s’apparente à la Pachama des incas. Le cocon protecteur du temazcal figure d’ailleurs symboliquement un ventre sombre, source de vie, et le foyer en son centre un nombril. Cette cérémonie purificatrice invite ainsi, en connexion unique avec soi-même et l’inframonde, à une forme de renaissance dans les entrailles de la Terre… ou à la mise au monde, car la coutume indigène destine aussi le temazcal à accueillir les accouchements.
Nus comme au premier jour de leur vie
Témoignage unique sur les mœurs et la religion des aztèques, le Codex Magliabechi [1] contient le dessin d’une cérémonie autour d’un temazcal (voir photo d’ouverture). Il s’accompagne du commentaire d’un prêtre espagnol, qui le décrit comme un rituel barbare : « A la porte du bain se trouve un Indien qui est l’avocat des malades, et quand un malade va aux bains, il fait une offrande et étend son corps sur le sol en vénération de l’idole […]. Ils utilisaient dans ces bains d’autres reliquaires infâmes et de nombreux Indiens nus se baignaient et commettaient de grandes laideurs et de grands péchés dans ce bain. »
Les Conquistadors, heurtés par la nudité, jugée honteuse, n’ont pas saisi le caractère social du temazcal, qui a toujours été un bain mixte, multigénérationnel. Bien que reconnaissant sa dimension médicinale, ils l’ont vu comme un lieu de dépravation, voire de prostitution, ce qui n’a jamais été le cas. Pour bien comprendre le contexte, rappelons que l’Inquisition, promue par les royaumes de Castille et d’Aragon, fait alors rage en Europe, considérant le corps comme le lieu du péché… Par ailleurs, à cette époque, l’eau (et avec elle la moindre forme de bain) n’est pas non plus en odeur de sainteté, suspectée de favoriser les épidémies par contact avec la peau… que la crasse est donc supposée protéger.
De surcroît, avec le rituel du temazcal, les indigènes entretenaient des cultes polythéistes que les missionnaires de l’Église catholique s’employaient alors à remplacer, l’évangélisation cherchant à imposer des modèles chrétiens dans la « Nouvelle-Espagne » depuis Charles Quint… Pourtant, bravant l’interdiction d’utiliser ces saunas considérés comme païens – et la menace d’être fouettés en place publique –, les Indiens ont assuré la survivance de leurs traditions et celle de ce sauna ancestral.
[1] Codex Magliabechi, manuscrit du milieu du XVIe siècle, conservé à la Biblioteca Nazionale Centrale, à Florence (Italie).
Photos : Wikimedia Commons.