Emblématique du style Art déco, la salle de bains imaginée dans les années 1920 par le décorateur Armand Albert Rateau pour la couturière Jeanne Lanvin est revisitée par la maison de robinetterie Volevatch, qui lui rend hommage au travers de sa collection Oiseaux de Paradis.
Fondatrice en 1889 de la maison de haute couture éponyme, la plus ancienne encore en activité en France, Jeanne Lanvin (1867-1946) débute dans les années 1920 une collaboration inédite avec Armand Albert Rateau, talentueux décorateur formé à l’école Boulle.[1]
C’est le couturier Paul Poiret (1879-1944), inventeur des robes courtes et tubulaires typiques des annĂ©es Folles, qui prĂ©sente ce prodige Ă Jeanne Lanvin. Ces deux esprits libres « dĂ©cident de crĂ©er ensemble un pavillon dĂ©diĂ© Ă l’art de vivre au 15 rue du Faubourg Saint-HonorĂ©. La boutique propose meubles, tapis, rideaux, vitraux, papiers peints… dans le plus pur style Art dĂ©co » : Lanvin DĂ©coration [2]. Leur association avant-gardiste dĂ©finit alors les codes du luxe : du simple qui soit très beau, selon l’adage cher Ă Jeanne Lanvin, qui est l’une premières Ă aller au-delĂ du vĂªtement et des accessoires pour Ă©tablir un vĂ©ritable art de vivre nĂ© d’une vision globale, les mutations vestimentaires allant de pair avec celles du monde. Photos ci-dessus : Armand Albert Rateau dans sa bibliothèque, par Jean Dunand, 1939 (©Christie’s) ; Portait de Jeanne Lanvin par le studio Harcourt, avant 1946 (©Wikimedia Commons).
Un amalgame unique de styles décoratifs
Le duo donne le ton en dĂ©corant d’abord le thĂ©Ă¢tre Daunou (Paris, 2e arr.), propriĂ©tĂ© de la star du cinĂ©ma muet Jane Renouardt (1890-1972). Dans un dĂ©cor Ă la feuille d’or mĂªlant feuillages et miniatures persanes, cette salle est parĂ©e non pas de velours rouge comme il est d’usage, mais d’un bleu lumineux, couleur fĂ©tiche de Jeanne Lanvin, qui s’inspire des manteaux de la Vierge dans les tableaux de Fra Angelico, peintre italien du Quattrocento. Photo ci-contre : miroir Ă main d’Armand Albert Rateau, en bronze, ivoire et verre miroir, 31,8 x 14 cm, Metropolitan museum of art de New York (©Wikimedia Commons).
Nourri de voyages, l’imaginaire de Jeanne Lanvin croise volontiers les rĂ©fĂ©rences culturelles, de l’art grĂ©co-romain aux vitraux gothiques en passant les fastes du Second Empire, l’orientalisme, l’égyptologie, la peinture Nabi ou le symbolisme d’Odilon Redon… « Je pense, dit Louise de Vilmorin, qu’elle avait contractĂ© dans son enfance humble cette nostalgie des mille et une nuits qui apparaĂ®t si clairement dans le type de femme qu’elle avait inventĂ© : Isolde de harem, MĂ©lisande un peu odalisque. » [3] Un goĂ»t en phase avec celui d’Armand Albert Rateau « pour l’AntiquitĂ© qui lui donne l’idĂ©e d’utiliser le mĂ©tal pour certains sièges Ă pieds en X, et l’Orient le porte Ă faire un grand usage des laques, laque d’or ou d’argent, laque jaune ou brun. » [4]
La salle de bains de Jeanne Lanvin, sauvée de la destruction
AchevĂ©s en 1925, l’ameublement et la dĂ©coration des appartements privĂ©s de Jeanne Lanvin au 16 rue Barbet-de-Jouy (Paris, 7e arr.) sont emblĂ©matiques d’un style, Ă nul autre pareil. Si cet hĂ´tel particulier [5] fut dĂ©truit en 1965, « le prince Louis de Polignac, en souvenir de la comtesse Jean de Polignac, fille de Jeanne Lanvin, proposa au MusĂ©e des Arts DĂ©coratifs l’installation complète, avec l’ameublement, des appartements privĂ©s, qui comprenaient une chambre Ă coucher, un boudoir et une salle de bains. » [6]
Au cÅ“ur de cet ensemble très personnel, la salle de bains, qui se visite au MAD ou virtuellement, fait la part belle Ă trois matĂ©riaux nobles et des motifs animaliers, Ă©voquant, entre autres, le bestiaire de l’art Perse.
Un bain antique sous influence orientale
Comme le dallage gĂ©omĂ©trique d’origine qui dĂ©ploie ses losanges au sol, dĂ©limitant des tapis pour chaque zone de la pièce (point d’eau-coiffeuse-commoditĂ©s-bain), les Ă©lĂ©ments de la salle de bains exposĂ©e au MusĂ©e des Arts dĂ©coratifs de Paris sont rĂ©alisĂ©s en marbre Hauteville. D’une grande duretĂ©, cette pierre calcaire beige et blanche aux Ă©clats ambrĂ©s se prĂªte parfaitement Ă la taille.
Lavabo sur colonne, cuvette WC, bidet et baignoire évoquent les bains antiques ainsi que l’atmosphère des hammams d’Orient. Monolithique, la vasque s’évase en corolle, à la manière d’une fontaine, faisant de la salle de bains un jardin enchanteur. Sculpturale, la baignoire îlot est ovale, ses rebords rebondis animés de pleins et de creux qui font ressortir ses volumes généreux. Dans la cuve, deux porte-savons sont creusés, en forme de marguerite. Motif de prédilection, cette fleur rend hommage à la fille de Jeanne Lanvin qui porte ce prénom et dont la créatrice a fait sa muse, développant une ligne de couture en taille enfant, idée novatrice en son temps. [7]
Ode Ă la nature
Tandis que les murs sont habillĂ©s de stuc (un enduit mural dont l’aspect est proche du marbre), le bas-relief qui pare l’alcĂ´ve dans laquelle est installĂ©e la baignoire est en staff (un plĂ¢tre Ă modeler armĂ© par un maillage de fibres de verre ou vĂ©gĂ©tales qui permet de prĂ©fabriquer des dĂ©cors). SculptĂ© par Paul Plumet, un couple de cervidĂ©s, paisibles, vient s’abreuver, prenant la pose parmi un bouquet de rameaux exotiques, manière d’induire que rien ne saurait venir troubler la quiĂ©tude des lieux au moment du bain.
Bien qu’aucun autre « tableau » figuratif ne décore les murs de la salle de bains de Jeanne Lanvin, elle constitue une merveilleuse ode à la nature, au travers de ses pièces en bronze. D’une patine vert antique, miroirs, appliques, lampadaires, accessoires, interrupteurs… sont peuplés de faisans déployant leur ailes au milieu des marguerites et des pommes de pin stylisés. Parmi ces objets aussi esthétiques que fonctionnels, la robinetterie s’illustre particulièrement.
La collection Oiseaux de Paradis de Volevatch
Contemporaine mais inspirĂ©e de ce modèle patrimonial, la collection Oiseaux de Paradis de Volevatch rend un hommage rĂ©vĂ©rencieux au dĂ©corateur Armand Albert Rateau et Ă ses incomparables crĂ©ations faisant la jonction entre Art dĂ©co et Art nouveau. DessinĂ©e par Igor Volevatch et Ă©ditĂ©e en sĂ©rie limitĂ©e et numĂ©rotĂ©e, Oiseaux de Paradis offre une sĂ©rie variations sur ce thème qui ne manque pas de panache, prĂ©texte Ă une dĂ©bauche de dĂ©tails prĂ©cieux sur les ailes, le col et le bec de la robinetterie, finement ouvragĂ©s. A l’instar de la salle de bains de Jeanne Lanvin conservĂ©e au MAD, la mise en scène Oiseaux de Paradis de Volevatch « incarne Ă la fois le sommet du raffinement ainsi qu’un prĂ©cieux tĂ©moignage du goĂ»t des annĂ©es 20. » Aux Ă©lĂ©ments d’hier, Volevatch a intĂ©grĂ© divers complĂ©ments, indispensables aux salles de bains d’aujourd’hui, comme une plaque de commande double chasse ou une douchette hygiĂ©nique pour les toilettes.Â
Photos ci-dessus et ci-contre : Robinetteries et accessoires de la collection Oiseaux de Paradis de Volevatch (mises en ambiances, produit dĂ©tourĂ© et croquis). DĂ©cor mural au point d’eau : papier peint sur papier Deep Rich Gold, motif Rateau de la Collection Diaghilev de De Gournay.
[1] Assurant, à seulement vingt-quatre ans, la direction artistique de Lucien Alavoine & Cie, l’une des plus prestigieuses entreprises de décoration et d’ameublement de l’époque, Rateau a alors déjà signé des aménagements d’exception : à New-York pour l’hôtel particulier de Florence et George Blumenthal, célèbre couple de mécènes et collectionneurs américains, ou encore à Madrid, au Palais Liria, dans les appartements de l’aristocrate la plus titrée au monde, la fantasque duchesse d’Albe.
[2] Histoire de la Maison Lanvin.
[3] Notice biographique de l’EncyclopĂ©die Universalis consacrĂ©e Ă Jeanne Lanvin.
[4] Notice biographique de l’EncyclopĂ©die Universalis consacrĂ©e Ă Armand Albert Rateau.
[5] Acquis par la couturière à la marquise Arconati-Visconti, philanthrope qui y tenait un salon littéraire et progressiste fréquenté par Léon Blum, Jean Jaurès, Georges Clemenceau…
[6] La salle de bains de Jeanne Lanvin au Musée des Arts Décoratifs.
[7] Cette relation fusionnelle est incarnée par le logo historique de la maison Lanvin. Signé Paul Iribe, celui-ci représente deux personnages féminins en miroir, une mère s’inclinant vers son enfant, la silhouette de l’une étant la réplique miniature de l’autre. Symbolisant leur indéfectible lien, ce dessin stylisé en or sur fond de verre noir est au placé au centre du mythique flacon-boule du parfum Arpège dessiné par Rateau en 1927.
A lire : Jeanne Lanvin, l’artiste couturière, article d’Aurore Barreau et Coralie Philibert sur le Blog de Gallica.
A voir : L’émission Visites privées de France 2, consacrée à Jeanne Lanvin – Le luxe à la française.